...A la CCR 285 il y avait un Bulletin de Liaison qui avait pour objectif de donner à
tous des nouvelles des uns et des autres, avec des anecdotes, des histoires vécues,
la vie dans les pelotons et les harkas, un peu d’humour et un peu d’histoire.
C’est Pierre Galland l’instituteur qui coiffait le BL.
...Dans le BULLETIN DE LIAISON N° 4 de décembre 1960, amoureusement conservé et aimablement prêté par Michel Grieu,
à l’époque à la Harka de l’Hillil, j’avais effectué des recherches historiques sur le village
et rédigé l’article suivant. J’ai été très heureux de pouvoir le relire, cinquante ans plus tard,
merci Michel de l’avoir conservé, merci Christian de me l’avoir transmis.
...La Stidia a été créée par Ordonnance du roi Louis Philippe en date du 4 décembre 1886 au château de Saint Cloud.
En arabe, La Stidia se dit « Aïn Zdidia », nom du douar sur lequel a été construit le village (Aïn = source).
La source, située sur la D1 entre Georges Clémenceau et le douar Bellevue, alimentait le village au début de sa création.
L’eau, quoique légèrement salée, était potable pour ceux qui y étaient habitués.
...Les premiers colons, en grande partie Prussiens et Alsaciens, ont été recensés en 1866 au nombre de 394.
On comptait aussi 90 Français et 2 Indigènes dans le village.
...Pour les Prussiens, on suppose que c’étaient des expatriés politiques ou des aventuriers.
Pour les Alsaciens, l’histoire est toute autre et les faits plus précis.
L’annexion de l’Alsace à l’Allemagne leur avait donné le choix entre adopter la nationalité allemande
ou quitter la province. Plusieurs prirent ce dernier parti pour embarquer vers l’Amérique
avec les Prussiens dans l’espoir d’y faire fortune. Mais le sort fut contre eux,
car l’armateur du bateau les laissa en panne dans le port.
...Ce fut Marie-Amélie de Bourbon, épouse de Louis Philippe, qui eut l’idée de les envoyer en Algérie.
Les aventuriers n’y virent aucun inconvénient, ils voulaient tenter leur chance sur un autre continent.
C’est ainsi qu’ils débarquèrent à Saint Leu pour s’installer à Sainte Léonie et à La Stidia.
...Une lettre adressée au Général commandant la Subdivision de Mostaganem en date du 4 juin 1848 parle des Prussiens :
(ces extraits de lettres proviennent d’un livre-copies de lettres tenu par les détachements successifs du Poste de La Stidia.
« … J’avais oublié de vous rendre compte, mon Général, qu’ayant trouvé en arrivant ici, un petit matériel dans l’une
des salles de l’école communale, j’ai invité les familles prussiennes à faire assister leurs enfants aux
cours que je donne deux fois par jour, aidé d’un Sous Officier et d’un Soldat. Les enfants qui viennent à l’école, au nombre de 32,
commencent à comprendre et à parler passablement le français et ils apprennent à lire et à écrire avec facilité.
Ils sont généralement très intelligents. »
...Des troupes étaient cantonnées dès le début au village. En date du 24 mai 1848, nous trouvons la trace du commandement du Poste de La Stidia
assuré par le Lieutenant Pilot, avec 1 Sergent, 2 Caporaux, 1 Tambour et 22 Fusiliers.
C’était un détachement du 5ème Régiment d’Infanterie de Ligne, stationné à Mostaganem.
Ce détachement fut plusieurs fois remplacé par d’autres de même importance. Deux mois plus tard, le 23 juillet 1848,
le Capitaine Prévost écrivit au Colonel commandant le 5ème R.L. :
« … Mon Colonel, j’ai l’honneur de vous rendre compte que je suis arrivé ici hier soir à 11 heures et que j’ai pris
immédiatement le commandement supérieur du Détachement. Ce matin, j’ai fait établir les tentes, les hommes y sont convenablement espacés,
et réglé l’ordinaire de ma Compagnie. La marmite à notre disposition peut suffire aux besoins de 100 hommes et je n’en ai que 90.
A partir de demain je vais continuer l’instruction des recrues. Je m’empresse de vous informer que je viens de reconnaître
un emplacement convenable pour le tir à la cible (ndlr : terrain à l’Est du Marabout) afin que je puisse m’en occuper dès que vous jugerez
à propos de m’en envoyer une. »
...La vie était très dure au début. Partout c’était la forêt. Celle de La Macta et celle de La Stidia n’en formaient qu’une ;
il fallait la défricher. Le travail, trop pénible pour le produit obtenu, a fait fuir petit à petit les colons dans les villages
plus favorables à la culture.
...Une lettre du 1er août 1849, adressée au Général Bosquet commandant la Subdivision de Mostaganem, dit à ce sujet :
« … Il me reste à La Stidia que 7 colons français mais ils me font des escapades dans les villages voisins.
Ils y vont, il est vrai, travailler pour gagner quelqu’argent, car avant tout il faut vivre.
Pendant ces absences, leurs terres ne se défrichent pas, et ce n’est pas mon affaire. Je voudrais voir prospecter ma petite colonie,
c’est aussi votre avis.
Pour attacher définitivement ces bras vigoureux au sol de La Stidia et faire marcher l’œuvre, j’ai trouvé le moyen,
je vous le propose. Bien persuadé que je suis que votre autorité, mon Général, vaincra les quelques petites difficultés de comptabilité
ou de détail qui pourraient se mettre en travers. Voici mon plan, il est simple, vous en jugerez.
La question des vivres pour les prussiens est une question coulée, il n’y faut plus revenir.
Mais quant à mes 7 français, c’est autre chose. Vous pouvez les autoriser à passer dans une des nouvelles colonies,
vous l’avez fait pour plusieurs, faites-le pour ceux-ci. Notre voisine, Aïn-Nouïsy a du vide dans sa population,
que mes Français figurent sur les registres de cette colonie et le problème est résolu.
Les vivres une fois assurés, plus d’inquiétude pour le lendemain.
Ces hommes, ces vieux et braves soldats reconnaissants, se vouent corps et âme aux travaux des champs,
ou je suis bien dans l’erreur, ou nous obtiendrons des résultats magnifiques.
La pensée que la proposition que je viens de prendre la liberté de vous soumettre, mon Général, m’est venue après avoir
eu connaissance que les quelques Français restés à Sainte Léonie jouissent de la faveur que je sollicite pour les miens.
Pourquoi, me suis-je dit, près de Mostaganem, ne pourrions-nous faire aussi bien que près d’Oran ?
Cette réflexion m’a piqué, j’ai cherché le moyen de faire aussi bien, et je crois l’avoir trouvé.
Puisse-t-il, mon Général, obtenir votre approbation. »
...Ce système a dû être appliqué, car une fois la terre défrichée, on pensa à la culture. Que planter dans cette terre sablonneuse,
sous ce climat chaud en été, humide en hiver ?
On fit des essais, et cette lettre du 8 mai 1850, adressée au Général Bosquet en est un compte-rendu :
« … Aux questions que me soumet votre lettre du 7 courant n° 1092 j’ai l’honneur de répondre :
Il a été semé à La Stidia environ 100 quintaux d’orge et 100 quintaux de blé, cette dernière graine ne se reproduit pas en 1850,
et l’orge nous fait peine à espérer le double de ce qui a été consenti à la terre, encore le grain… (suite illisible).
Le dernier recensement du village présente un effectif de 408 bouches toutes aussi affamées les unes que les autres,
ce n’est qu’avec des distributions périodiques en pain ou en blé qu’on parviendra à pallier l’affreuse misère qui affligera
sous peu toute cette population.
Cette colonie, essentiellement active et laborieuse, semble être le jouet de la fatalité, privée de ses parrains naturels,
reniée par le Génie Militaire, qui n’a pas dirigé son établissement sur le sol africain.
Elle voit depuis trois ans tous ses efforts persévérants en agriculture aboutir à la plus grande déception.
Chaque année les espérances de récoltes sont magnifiques, puis viennent les calamiteuses sécheresses que vous savez et toute espérance est détruite.
Que font alors ces colons. Tout ce qui est valide et fort va quêter dans les localités voisines n’importe quel travail,
puis chaque quinzaine, chacun revient apporter religieusement à sa famille le prix de ses labeurs.
Ainsi cette colonie s’est soutenue pendant trois ans, mais cette année … (illisible).
C’est donc pour le 1er juillet que je viens faire appel à votre bienveillante sollicitude, mon Général,
quelques sacs de grains par famille, préférablement à de l’argent, empêchant qu’on ne meure de faim, c’est l’essentiel… (la suite est illisible) ….
Je crois convenable de renoncer au blé pour ne semer que de l’orge et du seigle, ce dernier grain vient parfaitement …. »
...Que dire des rapports entre colons et indigènes ? Ces derniers ne venaient travailler que rarement chez les colons,
juste de quoi assurer leur pain quotidien. Il ne fallait donc pas compter sur la main-d’œuvre locale.
L’indigène était plutôt indifférent à ce qui se passait autour de lui. Il menait sa petite vie tranquille et laissait faire.
Les colons, eux, ne vivaient pas aussi tranquillement. Les maladies (Choléra, typhus) firent quelques victimes,
et l’âge moyen de la mortalité était très bas. Le recensement de 1872 indique : 356 Allemands, 78 Français, 19 Musulmans,
et 7 étrangers naturalisés.
...Ce ne fut que vers 1900 qu’on planta la vigne. Malgré quelques difficultés (grêlons, sauterelles) elle rendit parfaitement et
on en fit la monoculture. C’est aussi vers cette époque qu’on construisit en dur les maisons du village.
Les premières avaient été bâties par le Génie Militaire, elles sont reconnaissables aux terrasses sur les toits.
Il n’en subsiste que trois ou quatre, les autres ayant été rebâties sur leurs fondations.
...En 1929, par Délibérations n° 179 du 7 avril et n° 196 du 28 octobre, LA STIDIA devint GEORGES CLEMENCEAU.
La 285ème Compagnie de Circulation Routière s’établit dans les locaux de l’école communale en 1957.
(Recherches effectuées par François Guth
Pour mes recherches il y avait les archives des régiments successifs du Génie, de grands livres soigneusement
tenus d’une belle écriture calligraphiée. Ils relataient l’activité militaire mais aussi civile ainsi que les
incidents ou infractions relevés dans le village. Il y avait aussi les livres-copies de lettres pour les courriers reçus et envoyés,
de vrais livres d’histoire locale qui donnaient un aperçu de la vie quotidienne avec un certain recul.
Et puis, il y avait la magnifique bibliothèque d’un colon qui me pardonnera d’avoir oublié son nom,
mais qui m’a ouvert sa porte et donné accès à toute sa documentation, agrémentée de son savoir et de son expérience d’ancien du village.
Nos enfants auront des archives papiers, images, numériques, plus qu’ils n’en pourront exploiter,
heureusement que les anciens aimaient écrire dans ce magnifique langage qu’est le nôtre.)
...Ce récit était prévu dans le Bulletin de Liaison n° 5 mais j’étais déjà RDSF ! Pour ceux de la CCR 285,
intéressés par l’histoire de l’Algérie en général, et celle de leur village en particulier, en voici le texte.
Année superficie production rendement 1927 1.658 ha 29.610 hl 17,86 % 1937 3.026 ha 83.729 hl 27,67 % 1947 2.497 ha 80.691 hl 32,31 % 1957 2.971 ha 151.525 hl 51,00 % 1960 2.363 ha 124.163 hl 52,54 %
... L’irrigation a aussi causé de graves problèmes en Algérie. Des barrages ont été construits, et des conduits d’irrigation sillonnèrent la région. Les Jeeps de la CCR 285 parcourent la région depuis 1957, espérons qu’elles ramèneront dans cette terre africaine paix et sérénité.